N° 336 (septembre 2025), L’enquête

Cela se passe à la nuit tombante. La place présente un aspect inhab­ituel. Une haute palis­sade, dom­inée par une struc­ture en croisil­lons, l’entoure. Une épaisse végé­ta­tion recou­vre le sol. La réver­béra­tion de la lumière aveu­gle. Les frondaisons pen­dent en silence. Arbres som­bres et étoiles. Une odeur forte imprègne l’atmosphère. Les brous­sailles s’éclaircissent. J’attends comme tou­jours en regar­dant l’horizon. La lumière vire au jaune sale. Une grue se tient immo­bile dans le ciel vert. Des oiseaux appa­rais­sent dans les buis­sons. L’ensemble donne une impres­sion d’incomplétude. J’explore les dif­férents bâti­ments. Une sym­phonie de Haydn joue en sour­dine à l’intérieur de l’un d’eux. Les images jail­lis­sent et s’évanouissent au rythme de la musique. La porte extérieure en métal est fer­mée. Il se pro­duit un bruit sec. Une clé tourne dans la ser­rure. Elle s’ouvre. Un éclat. Je n’arrive plus à penser. Elle con­tourne la place et se dirige dans ma direc­tion. J’ai du mal à la recon­naître. Je reste où je suis. Elle me rejoint. Elle se force à lever les yeux vers moi et m’adresse un regard bien­veil­lant. Ses yeux son­dent les miens. Je suis partagé entre la curiosité et l’appréhension. Je lui fais une propo­si­tion. Elle effleure ma joue du bout des doigts puis se met à marcher à côté de moi. Je passe un bras autour de sa taille. Nous par­lons. Elle appuie ses paroles d’un regard. Je n’ai rien à répon­dre. Je préfère en dire le moins pos­si­ble et ce qu’elle a à dire me dépasse même si les infor­ma­tions sont claires. Elle me con­duit à l’extrémité de la rue. Elle oblique légère­ment. Elle s’engage dans une rue étroite que je con­nais bien. Elle reprend la parole. La pente s’accentue. Je me fais de plus en plus dis­tancer. Je vois la falaise, l’eau som­bre. Je m’approche du bord. Nous ne nous dou­tons pas qu’un événe­ment va se pro­duire. Elle s’arrête et me retient par le bras. Nous sommes dans la même immo­bil­ité. Le temps n’existe plus. Son vis­age se décom­pose. Je n’arrive pas à détach­er mes yeux du drame. La chose n’a, pour nous, aucune sig­ni­fi­ca­tion. Elle se met à crier. Sa voix domine le gron­de­ment. Je trem­ble de tous mes mem­bres. Je suis sub­mergé. Des pen­sées s’agitent dans mon cerveau. Je me res­sai­sis. Je me représente toutes les sit­u­a­tions pos­si­bles. La lumière décroît. Les élé­ments devi­en­nent moins dis­tincts. Je peux voir l’extrémité d’une branche d’arbre et le ciel en train de s’assombrir. Je peux dis­tinguer d’autres formes à tra­vers un petit morceau de ver­dure. Je prends pleine­ment con­science de ce qui est. Je lui explique qu’elle va s’habituer. C’est le genre de choses que je com­prends. Elle acqui­esce. Je peux enquêter.