N° 307 (avril 2023), Passe, passe, passe

La for­mu­la­tion est pro­fonde mais les mots que j’enseigne, dans une voix ferme et claire, sont encore plus pro­fonds et je ne peux les traduire car ils tor­dent les pen­sées et les sen­ti­ments si doux qui m’aident à souf­frir. Passe. Rends-moi mon sang, mon urine et ma bile parce que ces derniers ne dureront pas longtemps. Passe. Chaque corps, branche, feuille et fleur main­tient à dis­tance mon temps et le monde. Passe. J’utiliserai un autre livre, des sur­faces affamées sans mou­ve­ment. Passe. Le prob­lème n’est plus ce qui devait être mais ce qui s’absentait. Passe. Les sur­faces se dépla­cent avec le son que l’eau noire pro­duit. Passe. La table sur laque­lle nous jouons est froide — un zéro absolu. Passe. Rends mes sens intel­li­gents dans l’odeur de l’éclair. Passe. Engen­dre les yeux, la bouche, la gorge, le sexe. Passe. Débar­rasse-moi de mon corps et je par­ti­rai. Passe. Je veux ton silence, ta faib­lesse, ta douleur. Passe. La lumière tra­verse les bouteilles brisées. Passe. Je suis sus­pendu dans une pluie d’orage. Passe. Je rends le verre opaque et réel le sang. Passe. Le chaos avance et per­son­ne ne bouge. Passe. Les fleurs dans le jardin sont fanées. Passe. Je suis couché ici, faisant sem­blant. Passe. Je masque ma pro­pre sig­ni­fi­ca­tion. Passe. J’atteins son cœur et cesse d’être. Passe. Nous n’avons jamais été réels. Passe. L’air trem­blote et s’effondre. Passe. Je peux attein­dre la fenêtre. Passe. La forme recou­vre la forme. Passe. Tu ponctues les paysages. Passe. Je retrace tous les motifs. Passe. Nous flot­tions ensem­ble. Passe. J’attends l’idée finale. Passe. Ton corps m’effleure. Passe. Par­le douce­ment. Passe. Il n’y a rien à dire. Passe. Tout fait écho. Passe. De la pluie. Passe.