N° 253 (octobre 2018), Il énumère

Il com­mence par une let­tre famil­ière. Elle n’est pas restée là où elle était. Il veut lui faire croire qu’elle existe. Elle con­tient ce qui reste quand tout a été détru­it. Il s’arrête en plein milieu d’une phrase. Elle entame sa chute. Il est sans rancœur et sans ressen­ti­ment. Elle s’allonge et se dis­simule. Il donne le sens. Elle devient telle qu’elle est. Il n’a de cesse de faire ce qui doit l’être. Elle n’a rien à répon­dre. Il s’absorbe dans sa pro­pre qual­ité. Elle n’est plus à l’instant la même que celle d’autrefois. Il ne se sou­vient plus d’elle. Elle rassem­ble ses cheveux en arrière. Il s’épuise phrase après phrase. Elle se trou­ve là à présent. Il tra­verse pour aller vers le côté ombragé de la place. Elle dénoue sa cein­ture et s’allonge. Il bal­aie tous les ver­res d’un revers de la main. Elle entend tout ce qui lui échap­pait. Il se laisse tomber vers l’herbe. Elle ouvre son peignoir. Il met ses mains der­rière sa tête et inspire pro­fondé­ment. Elle com­mence à voir. Il réitère quo­ti­di­en­nement son refus de se laiss­er mourir. Elle souhaite déjà la fin de sa soli­tude. Il perd son idée. Elle reprend son souf­fle. Il se tenait là. Elle con­tem­ple la mer seule. Il se tient dans son jardin après la pluie. Elle est debout à côté de sa mai­son. Il s’approche aus­si près que pos­si­ble de son achève­ment. Elle se laisse tomber sur le lit. Il effleure la sur­face de l’eau et plonge. Elle ne pleure plus à présent. Il pense avoir dis­paru de leur vue. Elle laisse pleu­voir l’eau sur ses épaules. Il énumère : le fleuve, la source, ces pen­sées, les courbes, leur absence, mes mots, les ros­es, une four­mi, l’eau, un bour­don, les raisins écrasés, ta voix, ta peau encore chaude, le vent, l’ombre, le soleil, la lumière, la nuit, les rideaux, le loin­tain, ce matin, l’air, le jour, les pier­res, les roseaux, la pluie, les pivoines, le jardin, le disque lunaire, le bou­quet de lilas, le trou dans la haie, les fougères, le cré­pus­cule, les phrases.