N° 286 (juillet 2021), Les arbres, le noir
Cher H., la rivière est là, juste en face et je ne sais pas si, là-bas, c’est toujours la guerre. L’odeur reste familière, l’avion s’éloigne et personne ne vient, personne. Il faudra bien revenir sur l’isolement des gris, des camaïeux et gammes composées, mais pas tout de suite, plus tard, bien sûr. Et qu’est-ce qui peut bien recouvrir une phrase ? Est-ce qu’elles peuvent avoir une ombre ?
Cher H., le courant est continu et cela fait maintenant des jours que et le bruit rappelle celui des vagues venant frapper le rivage. Les séquences s’épuisent d’elles-mêmes et je crains de ne plus pouvoir inventer une grammaire. Qui n’. Est une élision sans suite pour évoquer une logique sentimentale, une parenthèse possible, une suspension. La phrase ne veut pas se poursuivre ?
Cher H., c’est surtout la vitesse du défilement de l’écume qui est remarquable. J’ai essayé de la calculer, sans succès. Je force des passages pour éviter la formation de plis. Il n’y a pas que les noms propres qui se déplacent. Le gris de la page se trouble. Il devient presque transparent et nous ne pouvons éviter les flous. Alors, il faut refaire la mise au point sans synonymes – aucun.
Cher H., je reviens sans cesse au cadre, aux montants verticaux qui définissent le cadrage possible sur le mouvement perpétuel et cela ne change rien au capitalisme triomphant, ni à la ponctuation. Pourtant, cela serait nécessaire. Penses-tu que nous devrions revenir à l’éthique objectiviste ? À quoi pensais-tu en écrivant « Incertaines voyelles » ? À qui, là-bas. Sa robe. Qui.
Cher H., je crois que c’est surtout la qualité de la lumière qui importe. Plus que tout le reste. Oui, je sais qu’il faut reformuler les couleurs, mais pas pour faire des phrases. Je reprends le temps puis le sujet, pas l’inverse, et prends soin de ce qui reste – malgré la restauration. Je reprends à mon compte « le paysage tentative de paysage », un mot après l’autre, sans aucune métaphore.
Cher H., je suis toujours frappé par la couleur de l’eau. C’est une couleur que je ne connais pas. Je relis l’histoire. Je pense à A., puis à C., à la lettre qui était, disais-tu, en permanence dans la poche de ta veste. Je me souviens d’histoires, de récits de guerre, de la traversée du siècle. Si seulement ! Je n’écris plus. Pas même un dernier mot comme tu as décidé de ne plus rien dire.