N° 309 (juin 2023), Baisers terrestres

Le doigt, en effleu­rant la page, laisse une trace, altéra­tion bor­deaux d’alinéa à l’autre, unis­sant, ver­ti­cal, « de » à « ne ». Cela arrive p. 54 du flirt avec elle. Cela restera la trace de ce soir, juste avant, ou après, dans l’instant où tu te con­fonds avec la nuit dans la cor­re­spon­dance aus­si bien qu’avec l’attente devant l’écran inerte. Quand j’écris « c’était bien », je voulais dire « j’ai aimé écouter ». En ce qui me con­cerne, ce n’est pas l’étourneau, ni le rouge-gorge mais le mer­le, sif­fle­ment sig­nifi­ant, mer­le trille au bleu venant. La con­clu­sion pro­vi­soire s’ouvre mati­nal sur lui, se répète quo­ti­di­en en ouver­ture sym­phonique, s’ouvre enfin pour le jour, est la note ini­tiale, le la auquel s’accorder. Les pouces bougent pour écrire, puis s’arrêtent, paralysie momen­tanée dans la ten­ta­tive d’une descrip­tion qui ne vien­dra pas. Il manque l’amplitude, toute l’amplitude et ses réper­cus­sions dans la réso­nance sus­pendue au silence. Pour pro­longer, il faudrait accom­pa­g­n­er les mots. Dans mon cas, c’est un brouil­lard. Les points se mélan­gent. Les doigts appuient sur les touch­es, main gauche, main droite, sans que l’intonation, la moin­dre into­na­tion, ne soit audi­ble. Il n’y a plus que la suc­ces­sion inex­pres­sive des notes, à recom­mencer sans cesse dans l’espoir de l’émergence, pour l’instant impos­si­ble, de l’absence de qui se trou­ve là. En atten­dant, j’apprendrai à nom­mer les plantes au fur et à mesure de leur flo­rai­son. Je sais le for­syth­ia, son explo­sion jaune silen­cieuse. Je sais con­tenir la ponc­tu­a­tion rose. Je note le trait iris ver­ti­cal, son aspi­ra­tion grappe : toute une bib­lio­thèque d’expériences non partagées. Je note, en extase à l’approche de la con­clu­sion, que je ne suis pas celui qui a tué l’amour, mais celui qui l’a anesthésié, à des­sein. C’est la néces­sité qui a par­lé. Rien de plus que ce qui se doit d’être comme il doit en être ain­si, dans l’équilibre insta­ble à faire dur­er, à ren­dre per­ma­nent : oscillation/battement. Je note la reprise du jour, la con­cor­dance. Je suis impersonnel.