N° 254 (novembre 2018), Théorie du monde
Je suis moi-même dans le couloir. J’hume le parfum de la maison. Je jette un regard dans l’escalier. Je surveille son ombre. Je la regarde quand elle passe et me dit quelque chose. J’effleure sa robe d’été. J’entends quelque chose. J’entends l’écho. J’entends le bruit oublié de la rivière qui m’absorbe. Je me dirige vers elle. Je m’éloigne à peine. Je me tiens dans la futaie. Je respire encore une fois le parfum de cette fleur et les odeurs des fougères. Je suis si loin d’elle. Je ne sais rien sinon que je suis et que j’étais couché sur l’herbe de la rive. J’imagine que c’est la nuit. J’entre dans la rivière. Je remonte la rivière à contre-courant. J’oublie qu’elle se souvient. Je continue de me souvenir. Je suis tenté d’appeler son nom. Je reprends sans cesse la même pensée. Je ne reviens plus jamais dessus. Je commence à voir ce que je vois. Je prends conscience de moi. Je me laisse de moi-même tomber. Je manque les choses et les prends à partie. Je me défais de moi-même. Je dépouille la beauté jusqu’au vide que je dérègle. Je m’accorde lentement aux objets qui se trouvent à proximité. J’énumère les propositions. Le chemin s’accomplit et se prolonge. Le matin arrive. Il y avait autrefois un champ ou une étendue d’eau. Il ne reste que cette pierre qui est à l’endroit où elle a toujours été. Le sol tout autour est humide. La goutte d’eau est comme accrochée à cette branche. L’après-midi se consume. L’arbre ne projette pas d’ombre. Les fleurs opposent une résistance à leur flétrissure. La lumière intercède. Le soir tombe et la nuit arrive. Les odeurs se dissolvent vers l’horizon. L’ombre vire au pourpre. Les couleurs disparaissent. Une émotion survient à l’approche de l’orage. Le vent souffle dans les rosiers. La pluie tombe dans le bassin. L’eau gèle dans la carafe. Le vent retombe. La voix égrène tout haut le compte à rebours. Le paysage disparaît quand les phrases apparaissent. La beauté s’éteint doucement. Le mot aspire la chose. Le souvenir des noms s’évanouit. Un chuchotement s’établit en un écho au rien de quelques maigres phrases.