N° 259 (avril 2019), Staccato accentuato

Elle danse, s’écarte en silence, fait encore un pas, gémit légère­ment, hausse les épaules, ignore l’homme en face d’elle, jette sa cig­a­rette, lâche un soupir, manie quelque chose dans son sac alors que le ciel s’obscurcit de nou­veau et paraît de plus en plus som­bre. Il la ques­tionne encore une fois. Elle racon­te lente­ment l’histoire d’une voix neu­tre. Il sait déjà ce qu’elle va dire, se tait, véri­fie l’heure, l’accable. Elle baisse les yeux, la tête. Il caresse ses cheveux dis­traite­ment. Elle ne décide plus de rien, n’échafaude plus de straté­gies, feint la soumis­sion tan­dis que sa haine grandit, hésite un instant, s’illumine tan­dis qu’il se joue d’elle. Il se lève avec lenteur. Elle marche docile­ment, lente­ment, à ses côtés, observe atten­tive­ment la crispa­tion du vis­age tan­dis qu’ils par­courent les rues désertes. Il la quitte. Elle ralen­tit, le scrute, se tient sur le per­ron, le voit au loin, accepte sa dis­pari­tion, ne bouge plus. Il change de direc­tion tan­dis que le ciel se décol­ore et que l’orage éclate. Elle ferme les yeux quand le ton­nerre gronde, hoche la tête, imag­ine la suite de ses mou­ve­ments, lui qui longe le boule­vard, puis elle monte jusqu’à la cham­bre, ouvre les rideaux, par­le posé­ment d’une voix rede­v­enue tran­quille, range dis­traite­ment quelques affaires, sif­fle une vague chan­son pop­u­laire, ter­mine sa tâche, s’accoude à la com­mode, brise par mégarde le vase de cristal sur sa droite, dégage sa main des bris, s’écorche mal­gré tout, fixe du regard les morceaux éparpil­lés au sol, hurle, s’immobilise, mur­mure quelques mots ou une phrase incom­plète, passe devant la fenêtre, se rap­proche de la table de nuit, sort un car­net, se tourne vers la fenêtre, acqui­esce d’un signe de tête, cherche quelque chose du regard, déplace la lampe de chevet, écoute les bruits extérieurs, fre­donne, inspecte la cham­bre, pense à une chan­son, réa­juste son chemisi­er, soulève une nou­velle fois sa main, trem­ble de plus en plus forte­ment, s’adosse, se colle con­tre le mur, désigne le lit, s’éloigne, frémit, pleure, recule, soupire, s’allonge au pied du lit, compte à voix haute, dit quelques mots incom­préhen­si­bles, émerge de sa léthargie, pose ses mains sur le sol, se redresse, sourit, allume une cig­a­rette, con­tem­ple le mur, se dirige vers le salon, s’engouffre dans la pièce, pousse un cri d’impuissance, referme la porte, s’apaise, con­tourne la table basse, s’étend sur le canapé, pleur­niche, réflé­chit, attend un moment, courbe les épaules, s’étire, prononce dis­tincte­ment un nom, regarde per­plexe au dehors, s’avance vers la fenêtre, crie presque quelque chose d’indistinct, exam­ine la rue, remonte dans sa cham­bre, se ren­verse en arrière, repar­le, repart, repasse, répète les mêmes mots, se res­saisit, reste immo­bile, se retourne, rit subitement.