N° 284 (mai 2021), Plaine aphone

1.

Je trace une fron­tière. J’équilibre des choses que je pen­sais ne pas pou­voir équili­br­er alors que je devais juste les laiss­er être. Je ne veux pas per­dre de vue l’histoire, le réc­it qui se pour­suit, une cul­pa­bil­ité, une nég­li­gence, une défec­tion… Je dis les mots suiv­ants : pont, sui­cide, jour, sac, tiroir, prière. C’est un men­songe résolu. C’est un sou­venir bon marché.

2.

Seule­ment le lichen sur les hêtres. Seule­ment la folie, les poumons, le cœur, la mer, les trou­bles dans les quartiers loin­tains, l’excès d’histoires à racon­ter, un signe et une petite fille qui me mon­tre ce qui est à moi.

3.

Le vis­age sous la lumière jaune. Ce qui était creux aupar­a­vant. L’aspiration muette. Le soleil qui se lève. De nou­velles acqui­si­tions. Des choses enfan­tines. Des actes aléa­toires d’une vio­lence insen­sée. Les nom­bres, emplace­ments, appareils, blessures. Des actes aléa­toires d’une vio­lence insen­sée. Une chose endémique, la peur du désor­dre, les lim­ites, les arti­fices. Des actes aléa­toires d’une vio­lence insensée.

4.

Je suis ici alors. Je suis ici. Les rideaux sont tirés. J’entends le bour­don­nement des machines, les voix dif­fusées à la radio. Cela se répète. C’est un bleu ou un gris sans impor­tance, des sur­faces recou­vertes de plas­tique, un espace pour y plac­er des choses, un mur. Pas un sim­u­lacre, une ombre. C’est un livre sur le par­quet. Ceci et pas autre chose. Une boîte pleine de cartes postales sans des­ti­nataires. Cela et pas autre chose.

5.

Depuis les escaliers ou la ban­quette arrière, je vois la neige sur le mate­las, la glace sur le pare-brise, les essuie-glaces usés, les traces de pneus. Rien n’a besoin d’être expliqué. Il n’y a plus que de l’indifférence. Ses bottes écrasent l’herbe. Le poids de son corps mar­que le sol gorgé de pluie. Le ciel est bleu som­bre. Je ne vois pas d’autre issue. Des servi­ettes mouil­lées sont posées au sol.